Le dernier combat de la Cordelière

Mais que diable suis-je allé faire dans cette galère ? De l’histoire-bataille, aux relents salés, un détail de l’histoire bretonne et française ? Que nenni, une belle lecture instructive à plus d’un titre.

Max Guérout, éditions Le Télégramme, 176 p., février 2012.

Ce livre est une rédition, avec deux chapitres réécrits, d’une édition parue en 2002.
Il y a 500 ans, « Le 10 août 1512 à la sortie du goulet de Brest un combat naval sans merci oppose la Cordelière, nef d’Anne de Bretagne au Regent, navire amiral de la flotte d’Henri VIII, roi d’Angleterre. »
Ce livre témoigne des campagnes de fouilles menées par la volonté et le soutien du conseil général du Finistère, et retrace l’histoire du navire en son époque. Le premier mérite est d’éclairer le lecteur sur la méthodologie de l’archéologie sous-marine. Etablir un périmètre et des techniques de fouilles nécessite de mener l’enquête historique, à partir des maigres témoignages directs de l’événement, d’échafauder des hypothèses sur les masses métalliques qui réagiront à la détection du magnétomètre. Le chercheur doit mobiliser un champ de connaissances et de compétences assez vaste, allant de l’histoire des techniques de construction navale à l’hydrographie, en passant par la climatologie. Les recherches sont rendues difficiles car le secteur de fouilles est vaste, jonché d’épaves de diverses époques, et surtout de nombreux cables sous-marins, héritage des communications transatlantiques aujourd’hui délaissées. Près de 70 points ont ainsi été répertoriés et fouillés lord de cinq campagnes par des plongeurs. Bien que les célèbres épaves n’aient pas été retrouvées, un état des lieux complet de la zone a été dressé et cartographié qui pourra servir à l’avenir.
Mais ce livre est avant tout un livre d’Histoire, sans doute même d’histoires, qui allient la rigueur de l’écriture historique à un sens de la narration propre à séduire un vaste public. Les chapitres décrivant le séjour de la Cordelière en Méditerranée de 1501-1504, alliant les volontés hégémoniques de Louis XII sur le royaume de Naples et l’esprit de croisade face aux Ottomans, et la bataille finale du 10 août 1512, sont des morceaux littéraires savoureux décrivant le formidable esprit d’aventure de ces Bretons, Normands, Flamands, Gênois, Provençaux, Anglais, Espagnols, Vénitiens…
La figure centrale de cet histoire est un jeune nobliau breton, qui grandit près du Conquet et de sa célèbre école de cartographie, Hervé de Porzmoguer. Après avoir écumé les mers et opéré de nombreuses prises en tant que corsaire, dont certaines à la limite de la légalité, il s’attire les faveurs de la duchesse Anne de Bretagne qui lui confie le commandement de la Cordelière, nef ducale construite à Morlaix, dont le financement (par de multiples villes bretonnes) et la construction sont retracées par une analyse serrée des archives. Le contexte historique explique le retentissement important de cette bataille navale. En cette fin de 15e siècle, les mariages d’Anne de Bretagne avec Charles VIII puis Louis XII scelle définitivement le destin du duché qui sera définitivement rattaché à la France au début du 16e siècle. Les Etats modernes se dotent d’une flotte de combat pour asseoir leur expansion sur les mers, et assurer des conquêtes. Les bateaux se modernisent. Avec l’invention du sabot d’artillerie vers 1500, une fenêtre dans la coque en bois qui permet d’augmenter la puissance de feu, les navires tendent à se spécialiser, alors que jusque-là les navires de commerce servaient aussi, et continuent encore, à servir pour la guerre. Les souverains deviennent ainsi capables de mobiliser et de coordonner des flottes importantes, annonçant les futures armadas. Au Ponant, Louis XII peut compter sur le dynamisme des armements breton et normand, y compris donc pour opérer en Méditerranée.
Un autre acteur décisif est Henri VIII, qui, succédant à son père en 1509, lance l’Angleterre dans une politique navale ambitieuse qui rebat les cartes des relations européennes. Les relations franco-anglaises en Manche sont depuis longtemps marquées par l’esprit de rapine. En 1511, Henri VII rejoint la coalition européenne contre Louis XII connue sous le nom de la Sainte Ligue. C’est dans ce cadre que prend place le combat exceptionnel entre la Cordelière et le Régent. Au large du goulet de Brest, mal engagée dans la bataille et voyant venir au vent la flotte anglaise, une grande partie des navires français décide de se réfugier dans la rade encore acessible, mais trois bâtiments restent pour protéger cette fuite. Les témoignages de la bataille sont peu nombreux, et une seule lettre est rédigée par un acteur direct du combat, Berquetot, capitaine de la nef de Dieppe. Ce dernier reprocha longtemps à l’amiral de Clermont, commandant de la flotte française, son retrait du combat.
Le récit épique livré par Max Guérout, ancien officier de Marine, qui a fondé en 1982 le Groupe de recherche en archéologie navale, est donc issu de la confrontation de sources d’époque, mais pas forcément directe, du combat. Il montre d’ailleurs comment certains textes, de l’entourage de la duchesse Anne, ont facilité la construction d’un mythe autour de Porzmoguer et de la Cordelière. Enchaînés, les deux nefs principales finissent par exploser en pleine mer après plusieurs heures de combat, entraînant la disparition de près de 1500 hommes selon les estimations de l’historien, dont toute une partie de jeunesse bretonne embarquée sur ce navire. Le mythe véhicule d’ailleurs l’idée d’une explosion volontaire décidée par Porzmogueur, qui symboliserait le sacrifice breton envers la France.
Cet ouvrage rythmé se lit comme un roman, et il s’agit pourtant bien d’éclairer un évenement historique dans ses multiples échelles. Deux lettres d’époque, de nombreuses archives et notes de bas de page, quelques documents iconographiques, illustrent et certifient le propos. Le professeur d’histoire ne trouvera sans doute pas une adaptation évidente pour ses classes, sauf peut-être nos collègues bretons, mais ce livre permet une immersion dans une période historique foisonnante, où les bouleversements politiques, maritimes, sont profonds, tout en éclairant les constructions étatiques, les relations de pouvoir, les horizons de ces aventuriers du 15e siècle.
Peut-être bien qu’Hergé a puisé dans l’histoire de la Cordelière l’association des jurons favoris du capitaine Hadock : « mille millions de mille sabords » et « tonnerre de Brest » ?

Laisser un commentaire